J’aurais aimé pouvoir épargner le
jeune orphelin, la nouvelle veuve, la mère éplorée des épines de cette
question. Car, je sais par expérience que le silence se révèle être souvent le
meilleur interprète des douleurs extrêmes. Le sensé ne s’attend pas à se voir
offrir un sourire spontané et vrai quand il interroge un boiteux sans béquilles
et un aveugle sans bâton sur leur qualité de vie. Il est possible d’imaginer
les déboires d’un poisson privé de son océan.
Qu’on ne s’en méprenne! Je saisis
très bien la différence entre le prix et la valeur d’une vie. Dans ce contexte précis, j’avoue choisir
délibérément l’usage du mot ‘’ prix ‘’ préférablement au mot ‘’valeur ». Vous
vous demandez sans doute où je veux en venir; la réponse ne saura tarder.
Depuis un certain temps, temps
qui n’est pas si récent évidemment, on assiste à une banalisation de la vie en
Haïti. L’existence tient de plus en plus aux caprices des bandits. Dans la
capitale, on meurt par jalousie, par haine et même par erreur. Il arrive que,
par inattention et nonchalance, un truand se trompe de cible et expédie un non
concerné dans l’au-delà. Emportant
du même coup: avenir, rêves et espoir d’une famille entière.
Nous sommes loin de nous prêter à la propagation
de la mauvaise image dont Haïti est trop souvent victime. Il s’agit ici de ne
pas taire un phénomène qui nous préoccupe, nous effraie et nous interpelle. À
la veille des éventuelles élections, nous assistons avec consternation à une
recrudescence des actes de banditisme. Beaucoup d’acteurs se présentent comme
des apôtres de paix mais la plupart ne règlent leurs comptes que dans le sang. Une
seule loi semble avoir la prédominance -
la loi de la jungle.
Ce climat de terreur offre
cependant l’opportunité de faire un diagnostic de notre société. Il pourrait
même être vu comme une expression de détresse du peuple haïtien en général.
Qu’on se l’admette, l’usage de la violence est le plus souvent l’apanage de
ceux à qui il manque d’arguments et de bon sens, de ceux qui contraignent pour
convaincre, de ceux entre les mains de qui on a enlevé une plume pour placer
une arme, de ceux qu’on presse à penser par l’intestin et de ceux à qui l’on
présente banalité comme laïcité.
L’homme a besoin de s’élever jusqu’à Dieu pour
être pleinement humain. La vie a besoin d’être sacralisée avant d’être
conservée. Quand nous permettons à des individus d’exister et de vivoter
en-dessous des seuils de la dignité, nous créons par la même occasion les
conditions pour qu’ils posent des actes au-dessus de l’horrible. Ce n’est pas
excuser l’inexcusable que de reconnaitre qu’il est vain d’espérer des
comportements civilisés d’un être déshumanisé. Les gouvernements s’autorisent à
faillir à leur mission et oublient que la violence structurelle est mère de
violence physique. Ils sont donc tenus de se rappeler que la démocratie sans
l’éducation de qualité est un leurre, la paix sans la justice une illusion, la
tolérance sans la prospérité collective une chimère et la morale sans Dieu, le
chaos. ( Quand les cierges de l’autel s’éteindront, on verra s’allumer les
torches de la conflagration universelle).
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